L’équidé, révélateur de lien social pour les personnes avec autisme.
Comme certains d’entre vous le savent, il est bien délicat de définir clairement l’autisme puisqu’il existe une multitude d’autisme, avec des formes très variées où chacune a une appellation propre (Asperger…) qui se décline ensuite avec des particularités spécifiques.
Selon la forme d’autisme ou de TSA : troubles du spectre autistique (terme régulièrement employé qui regroupe une multitude de comportements, d’attitudes), les capacités des personnes sont diverses et variées ainsi que leurs difficultés.
Comme il existe autant de formes d’autisme que de cas, la France s’est arrêtée sur le terme de « troubles du spectre de l'autisme» (TSA). Cette nouvelle terminologie, plus précise que « l’autisme », a l’avantage d’englober des pathologies telles que les troubles envahissants du développement (TED) et le syndrome d’Asperger.
Pour schématiser très succinctement (pour le grand public), on note souvent une difficulté à entrer en relation avec l’autre, à être au contact, à généraliser et/ou à être à l’aise dans un environnement. Comme précisé plus haut, il faut ensuite prendre en compte la personne en tant que sujet avec ce qu’elle est, son histoire, ses habitudes, ses capacités, ses craintes…
Que vient alors faire le cheval là-dedans ? Et quel intérêt y aurait-il à proposer un accompagnement avec l’équidé ?
J’ai eu le plaisir d’accompagner dernièrement deux groupes différents de trois ou quatre jeunes avec des troubles du spectre autistique auprès de mes poneys et chevaux et je souhaitais partager avec vous les bienfaits de cette médiation et les nombreuses interactions qui ont eu lieu au cœur de la carrière de Cheval’Envol. Les impacts de la relation « homme-cheval » a dépassé mes espérances tant en tant qu’intervenante en relation d’aide et d’accompagnement avec les équidés, qu’en tant qu’éducatrice ayant accompagné pendant des années ce type de public avec différents supports.
J’ai toujours su que cet accompagnement naturel et sensoriel portait ses fruits mais je ne pensais pas que même lors d’une première rencontre entre un poney et les jeunes, de si beaux échanges auraient lieu, tant du côté des jeunes que du côté des équidés, qui se sont révélés à leur juste place et d’une telle entente réciproque. Je précise qu’il n’est pas toujours évident pour les équidés d’être au contact de certains publics, selon leur tempérament, leur vécu et le nombre des personnes qui influent sur leur sensibilité et ressenti. Je rajouterai qu’en fonction « des degrés » d’autisme et leurs expressions, le poney ou cheval doit pouvoir accepter le brouhaha, les cris, les gestes plus ou moins saccadés, voire brusques. Enfin, je rappellerai, que les équidés sont naturellement des animaux sensibles et peureux de par leur classification en tant que proie. Les voir accepter avec une telle attention et bienveillance ces différentes attitudes sans se soustraire physiquement ou psychologiquement à ce qui se passe dans l’ici et maintenant est simplement merveilleux et fort de sens. Ils le font pour ceux qui sont venus les voir. Ils ne sont ni résignés, ni obligés, ils sont là avec nous, volontaires !
Le premier groupe était un groupe d’adolescents qui devaient avoir entre 13 et 15 ou 16 ans. Ils venaient d’un institut d’éducation sensoriel où ils sont accueillis à la semaine, certains restent à l’internat. Ils rentrent chez eux le week end. Ces trois jeunes ne parlaient pas ou peu. Ils sont venus rencontrer Mircot, notre adorable poney rustique lui aussi de 13 ans au caractère attachant et tendre. La séance s’est déroulée dans la plus grande liberté de mouvement au sein de la carrière de Cheval’Envol délimité par les barrières en bois, apportant un cadre sécurisant. Les jeunes avaient la possibilité de déambuler d’eux-mêmes dans la carrière et d’aller explorer différents champs. Mircot se trouvait, lui aussi, en liberté dans la carrière et se déplaçait de personne en personne au gré de ses ressentis. Les deux garçons ont eu la possibilité de venir voir le poney, le toucher et la motivation de monter sur son dos en enclenchant le mouvement s’est exprimée. L’un d’eux a pu se coller contre lui et expérimenter la sensation de le sentir et d’être apaisé. Il n’y avait ni cri, ni colère, ni trouble, simplement l’expérimentation d’être dans un lieu ressourçant en pleine nature avec un poney qui allait tranquillement à leur contact et s’arrêtait avant d’arriver à eux, pour leurs laisser le choix de venir à sa rencontre ou de partir. Une jeune, qui en institution a de grosses difficultés d’approche, notamment des animaux et a très peur des chiens, n’a pas lâché Mircot de toute la séance. Très intéressée, mais avec des craintes, elle a fait beaucoup d’allers-retours vers lui avant de pouvoir rester à ses côtés. Elle a été captivée et a réduit ses allers retours niveau distance et dans la temporalité pour venir au contact. Non plus seulement en lui touchant l’épaule ou le dos mais en s’approchant de ses yeux, de son nez. Elle a même fini par élaborer une stratégie que j’ai trouvé adéquate : mettre ses gants pour accepter que Mircot lui sente les doigts et lui fasse un bisou sur la main. Cet échange fut chargé d’émotions, la jeune fille exprimant par sons la sensation du bisou avec un sourire qui en dit long. Les trois jeunes étaient immergés dans un environnement stimulant tant du point du vue des sons, des odeurs, du toucher et semblaient baignés dans la sérénité. Mircot fut épatant, d’une douceur que seul lui a le secret. Ce fût un très bel échange où les éducateurs ont perçu les jeunes différemment du quotidien.
Le deuxième groupe venait d’un service de répit ouvert la moitié des vacances scolaires et certains week end dans l’année. Ils accueillent différents enfants, certains régulièrement, d’autres ponctuellement, en internat et à la journée, atteints de TSA (troubles du spectre autistique). Ce fût un petit groupe de quatre qui est venu me rendre visite pour une séance autour des équidés. Deux garçons de 7-8 ans qui s’exprimaient plutôt bien, une jeune demoiselle qui signait pour se faire comprendre ou faisait des sons, et un adolescent de 14 ans avec une expression très peu développée.
Ils ont pu, eux aussi rencontrer Mircot, durant la première heure dans la prise de contact, le rapport à l’autre et l’espace. Certains ont eu la possibilité de le tenir et faire quelques pas, d’autres de le brosser. De nouveau ce fût un échange très riche. Les accompagnants ont pu découvrir que la jeune fille qui n’était jamais motivée à faire quelque chose et attendait toujours l’impulsion d’un adulte, après la prise de contact enveloppante de son éducatrice pour l’aborder, est spontanément aller au contact, le toucher, le caresser, le tenir en longe pour le faire marcher. D’elle-même, elle a exploré chaque brosse et les a utilisés tour à tour auprès de Mircot d’une manière consciente et adaptée, comme si elle l’avait toujours fait. Elle était motivée et faisait par elle -même en cherchant à demander et à communiquer. L’adolescent, avec soutien a pu toucher et s’approcher de Mircot a plusieurs reprises grâce à un soutien éducatif constant. Il a pu par l’intermédiaire d’une éducatrice commencer à le brosser et s’est posé tranquillement à ses côtés. Quant aux deux plus jeunes qui avaient besoin de bouger et de se dépenser, il était fort intéressant de voir à quel point ils créaient l’interaction entre eux et le poney. Et comme j’ai précisé à l’équipe éducative, même lorsque les jeunes préfèrent aller courir à l’autre bout de la carrière pour éviter ou visualiser le poney de loin, ceci est déjà une interaction et révèle des éléments sur eux et la relation à l’autre. Dans les discours, la cohérence avec laquelle l’un d’entre eux s’est exprimé vis-à-vis du poney montre que bien qu’il ne soit pas allé directement au contact de celui-ci, avait bien conscience de la présence du poney et c’est déjà un atout. Souvent, on peut entendre que les personnes dites « autistes » sont dans leur monde, et ne prennent pas conscience de ce qui les entoure, ce petit bonhomme nous a démontré le contraire. Je rajouterai, que contrairement à certaines idées reçues, la médiation avec l’animal ne veut pas nécessairement dire le contact mais bien que l’animal crée un panel de possibilités qui permettent dans le cas présent d’entrer en relation.
Dans un second temps, les jeunes ont pu faire la connaissance d’Amiral, Connemara de bientôt 9 ans, et explorer la monte sensorielle sur son dos. La jeune fille a été épatante, demandant à mettre le tapis et à monter dessus en allant chercher d’elle-même le casque. Sur le dos d’Amiral, elle a élaboré une communication gestuelle, corporelle et sonore pour faire comprendre ses envies. Elle a émis le souhait qu’Amiral trotte en faisant le mouvement du bassin que beaucoup de cavaliers connaissent. Ce fut un moment privilégié d’une grande beauté. Pendant ce temps, les jeunes étaient calmes et sereins avec l’équipe éducative comme s’ils avaient toujours fait ceci. Les garçons sont montés chacun leur tour sur le dos du cheval. Le premier a eu beaucoup de plaisir de sentir le mouvement, de pouvoir toucher le dos et le garrot d’Amiral en faisant écho à son propre corps. Il appréciait de pouvoir tenir les crins et mettre sa main au contact du corps du cheval en mouvement. Le deuxième, plutôt réfractaire au départ, a esquissé un si beau sourire une fois dessus que tout le groupe s’est arrêté pour le regarder, comme un instant hors du temps. Même Amiral a pris la pose, marquant un temps d’arrêt en posant un de ses postérieurs. Et la « magie » ne s’arrête pas là. Alors que ce petit bonhomme courrait de partout depuis le début de la séance, observant tout et ne m’adressant pas la parole. Il choisi de me donner la main (restant à côté de lui) pour que nous allions marcher avec l’équidé. Et très judicieusement, il enleva ses gants en laine pour que nous puissions rentrer en contact. Et lors des deux tours à dos de cheval, je ne vous dirais pas tout ce qu’il m’a raconté sur sa maman, lui, l’environnement. Par le biais de l’équidé, nous sommes rentrés en contact spontanément alors que jusqu’ici il était plutôt fuyant. Quant à l’adolescent, qui nous suivait pendant ces tours, il a pu s’approcher d’Amiral et faire quelques pas en le tenant en longe, acceptant que la tête du cheval ne l’effleure, sentant son souffle et esquissant un sourire de satisfaction. Malgré les différentes énergies réunies autour de lui, Amiral a été grand seigneur et d’un calme olympien avec une sensibilité spontanée lorsque sur son dos les jeunes se déséquilibraient, il s’arrêtait me laissant le temps de les aider à se remettre dans le bon alignement 😉. Ce fut un instant différent, autre, un instant de bien-être, de partage et plaisir pour tout un chacun qui s’est clôturé par une accompagnante faisant un câlin à Amiral et tenant sa tête contre elle.
Lors de ces deux rencontres, les jeunes étaient bien, sereins et apaisés. Il n’y a pas eu de crise. Chacun à leur façon, ont pu vivre une interaction avec un être vivant simplement et sans conditionnement, par motivation. Des mouvements et déplacements ont pu avoir lieu pour suivre le cheval en marche, être à ses côtés ou le brosser. Une exploration sensorielle autour du poney et/ou du matériel s’est instaurée spontanément (froid, chauf, dur, mou, rugueux…). Et une communication à travers et grâce aux équidés s’est développée au cours des séances, à travers les sensations et ressentis. Les jeunes n’étaient pas dans leur monde mais présents avec nous et ceci est l’aboutissement d’une attention conjointe entre eux et l’animal 😊. Les équidés analysent les personnes face à eux et l’environnement et s’approchent avec douceur et moins soudainement qu’une grande majorité de chiens qui sont tellement joyeux de venir au contact, que l’euphorie peut impressionner les plus timides.
Quant à mes merveilleux équidés, ils ont été à la hauteur et se sont admirablement adaptés à la situation, naturellement et sans consignes particulières. Je n’ai nullement cherché à les « dresser » pour ceci mais leurs ai laissé la liberté d’être ce qu’ils sont et de s’exprimer en toute quiétude pour que l’alchimie opère et révèle les différentes potentialités des publics.
C’est d’ailleurs ainsi que j’accompagne les différentes personnes qui viennent à ma rencontre, du jeune enfant à la personne âgée, en les considérant comme des personnes à part entière avec des potentiels pour dénouer une situation, aller de l’avant, s’exprimer, s’apaiser, lâcher prise…en choisissant le ou les équidés en capacité de les accompagner, soutenir en fonction de qui ils sont pour faire naître une connivence, clé du soin et de l’aide apportée par les équidés.
Un instant d’une grande valeur où chacun est comme il doit…
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